DISPARU à 6 h 37

1ere

Présentation

Valérie d'Aguilar, médecin au service pédiatrique de l'hôpital de Sète, vient signaler la disparition de son mari.

L'équipe du commandant Bourguignon est chargée de résoudre les circonstances de cette mystérieuse disparition : le mari s’est volatilisé alors qu’il devait prendre le train de 6 h 37.

Dès lors, l'exploration méticuleuse de toutes les pistes est mise en place, et progressivement la vérité va apparaître, en conduisant le lecteur dans les brumes troubles du passé des personnages.

Pour ce dixième livre, Marco Libro s'inspire toujours de la réalité, cette fois-ci de celle des comportements entre adultes, en huis clos.

DISPARU à 6 h 37

1 / Valérie

Mercredi 18 octobre

14 h

« Je m’appelle Valérie d’Aguilar. Je viens signaler la disparition de mon mari, Sébastien d’Aguilar. J’habite… Oui ! C’est ça. Inutile de stresser… Mais quand même ! Il n’est jamais agréable d’avoir affaire avec la police. Comme si, lorsque l’on parle à des représentants de l’Ordre, on est potentiellement coupable de quelque chose. C’est la même chose quand on se fait arrêter en voiture : on pense toujours qu’ils cherchent la petite bête et qu’ils vont trouver quelque chose comme une ampoule défectueuse, un pneu un peu lisse ou une plaque illisible, LE défaut que l’on n’a pas vu, LA règle que l’on n’a pas respectée… Quoi qu’il en soit, je n’ai rien à me reprocher. Si je viens ici, c’est bien sur les recommandations de ma belle-sœur dont le frère est procureur de la République. On ne peut pas trouver mieux pour recevoir un avis approprié. Allez ma Grande ! Prends une bonne inspiration et sonne. »

Valérie vient de remonter la rampe pour fauteuils roulants qui donne accès au commissariat de police de Sète. C’est un bâtiment de deux étages s’élevant sur une base triangulaire, à l’allure résolument administrative, aux nombreuses ouvertures séparées par des piliers alignés dans un ordre strict et régulier, comme une compagnie de soldats assignés au garde-à-vous lors de la revue des troupes. L’austérité de l’immeuble, renforcée par la présence de solides grilles protégeant les fenêtres du rez-de-chaussée, est rompue par une étonnante façade arrondie à l’angle nord, faisant face au pont de la Bordigue qui enjambe le canal Royal reliant l’étang de Thau à la Méditerranée. Le temps est maussade aujourd’hui, presque froid, pour les locaux. Quelques gouttes flottent encore dans l’air chargé d’humidité. Les épisodes cévenols ont signifié la transition entre la période estivale sèche et ensoleillée et la douce période hivernale qui s’annonce. L’eau de la dernière averse fait luire la chaussée. Elle a nettoyé le trottoir du quai de Bosc, a remplacé l’odeur âcre de la ville par celle de terre mouillée. Valérie pénètre dans la véranda faisant office de salle d’attente. Sa forme arrondie fait plus penser à un aquarium dans lequel des captifs ne cesseraient de tourner qu’à un lieu de vie agréable et convivial. La présence de bancs métalliques renforce cette impression de froideur inhospitalière.

Valérie referme le parapluie dont elle aurait pu se passer. Il n’y a personne d’autre, ce qui renforce le sentiment d’insécurité qui s’installe en elle, qui lui donnerait presque envie de s’enfuir. « Bon, plus vite ce sera fait, plus vite je serai libérée. »

Quelques instants après que le son du buzzer a résonné dans la véranda, une voix nasillarde retentit à travers la grille de l’interphone, presque incompréhensible. Elle reconnaît cependant celle d’une femme :

— Bonjour, quelle est la raison de votre venue ?

— Bonjour, je m’appelle Valérie d’Aguilar. Je viens signaler la disparition de mon mari.

Le claquement sec de la serrure magnétique indique que l’accès est libre, que Valérie peut pénétrer dans le hall de réception. La voix l’invite à avancer.

— Entrez !

La porte vitrée résiste à sa poussée, comme si cet élément inerte lui intimait l’ordre de ne pas en franchir le seuil. Elle hésite un quart d’instant.

« Allez, ma Grande, ressaisis-toi, un peu de courage ! Tu n’entres pas dans la fosse aux lions, sacrebleu ! » Son regard balaie le hall d’accueil : trois groupes de chaises jumelées en bois patientent devant les ouvertures protégées par des rideaux de tubes de fer articulés, un distributeur de boissons fraîches propose sodas ou thé froid, une machine à café présente toute la gamme de ses produits dérivés, une table attend que l’on s’y installe pour y remplir un formulaire. Quelques affiches scotchées au mur crient leur slogan “Protéger, un métier” proposant au public de rejoindre les rangs de la police, d’autres invitent les victimes de violences sexuelles et sexistes à “ne rien laisser passer” ou précisent la conduite à avoir quand on a été victime d’une infraction. Le plan de l’office du tourisme de Sète occupe un recoin, quelques prospectus de la ville jonchent l’assise d’un tabouret.

En six pas, Valérie rejoint le comptoir vitré derrière lequel elle a du mal à distinguer la silhouette de la femme qui l’a priée d’entrer. Mal éclairée, la zone de travail de la fonctionnaire de police relève plus du cagibi ou du placard à balais que d’un bureau accueillant qui permettrait aux requérants de se sentir dans un lieu d’écoute attentive et bienveillante.

2 / Le repas

Villa du Soleil

Trois jours plus tôt, le samedi 14 octobre

20 h 30

— Bonsoir, Valérie, tu es en beauté ce soir ! Stéphane d’Aguilar, la cinquantaine tranquille, un peu bonhomme, le cheveu en voie de disparition, la barbe encore brune et soignée, sourit à son hôtesse en lui tendant un bouquet de fleurs coupées.

— Bonsoir, Stéphane, toujours aussi flatteur. Ne le dis pas trop fort, Sandrine pourrait entendre et te faire une crise de jalousie ! Et je ne voudrais pas me fâcher avec ma meilleure amie. Merci pour les fleurs !

Valérie se dégage du pas de porte pour laisser le passage à son beau-frère, suivi de son épouse.

Sandrine d’Aguilar porte avec charme et élégance une robe portefeuille asymétrique boutonnée, aux longues manches, en tissu uni léger de couleur rose ancien. Sa veste courte aux pans arrondis, son mini sac à main, ses bottines sont en cuir vert amande. Sa longue chevelure brune et bouclée, son regard noir souligné d’un trait de crayon khôl, son nez droit et fin, ses lèvres rouge carmin composent l’image d’un visage à la beauté sauvage.

— Entre, Sandrine. Ton mari est un incorrigible séducteur… Comment arrives-tu à le conserver ?

— J’ai mes petits secrets, répond-elle d’un sourire entendu, en penchant délicatement son visage sur le côté. On s’embrasse ? Le Covid est derrière nous, n’est-ce pas ?

— On pourrait le croire, mais en tant que médecin, je suis toujours sur la défensive. Restons prudentes, si tu veux bien.

— Je comprends. Alors, qu’est-ce que tu nous as préparé ?

Valérie referme la porte d’entrée et désigne le portemanteau de sa main pour que ses invités puissent accrocher leurs vêtements.

— Je voulais vous en faire la surprise, mais comme la question est posée : c’est un menu de la mer. En entrée, quelques gambas flambées au Cognac, puis je fais un test de la rouille de seiches, pour que vous me disiez ce que vous en pensez. Une répétition pour le plat que je ferai pour l’anniversaire de notre beau-père, ce cher Théodore, le 9 novembre. Cela vous va ?

— Sûr ! dit Stéphane en claquant de la langue. C’est un de mes plats préférés, et celui de papa également. C’est une bonne idée, cela lui fera certainement plaisir. Et à nous aussi. Tu vas nous ravir les papilles.

— J’espère bien. Passez au salon, je m’occupe des fleurs dans la cuisine. J’en ai pour un instant. Sébastien vous attend.

Sandrine l’accompagne.

— Malgré ton travail, tu as quand même trouvé le temps de préparer le repas… Bravo ! Félicitations, mais tu sais, ma chérie, qu’il existe de très bons traiteurs, ici.

— Je le sais très bien, mais tu connais ma passion pour la cuisine, et puis cela ne m’a pas pris énormément de temps. C’est un bon dérivatif pour moi, pour me vider la tête, j’en oublie presque l’hôpital. Cela m’a fait du bien de vous concocter ce repas. Passons à côté, tu veux bien ?

Les confortables fauteuils capitonnés du salon les accueillent chaleureusement. Sébastien d’Aguilar en chemise blanche et pantalon beige les invite à s’asseoir d’un geste de la main. Il a voulu une ambiance de club anglais moderne pour cette pièce : sièges en velours gris anthracite, meubles noirs en bois vernis, éclairage tamisé.

— Pour l’apéritif, je vous ai préparé un super mojito comme vous les aimez, propose Valérie.

— Pas question ! “Veuve Clicquot, Carte Jaune” pour tous, tranche autoritairement Sébastien, va chercher le magnum au bas du frigo.

— Eh bien, frérot ! Un magnum de Veuve Clicquot ? Rien que ça ! Tu as quelque chose à fêter ? On dirait que tu veux nous en mettre plein la vue ! dit Stéphane, d’un ton railleur.

— Il n’y a pas que toi qui réussis dans la vie, le reprend Sébastien. Le petit notaire pépère et rentier que tu es va pouvoir féliciter son frère : il sera nommé lundi vice-président du directoire de la “Banque des Sources”. Respect ! s’il te plaît !

— Je m’incline, Môssieur le Président. Reçois les félicitations de l’humble officier public et ministériel que je suis.

— Tout ne me tombe pas tout cru dans le bec, à moi. J’ai enfin la reconnaissance que je mérite et…

— Eh bien. Bravo mon beau-frère ! dit Sandrine en applaudissant bruyamment, pour couper court à une nouvelle querelle naissante. Si nous faisions une photo pour immortaliser ce moment ? Voilà Valérie qui revient avec les verres et la dive bouteille de champagne.

Valérie dépose les coupes sur la table basse du salon, plateau en marbre clair et veiné, pieds en laiton poli. Elle confie le magnum à son mari :

— Veux-tu bien le déboucher ?

— Ah ! Les faibles femmes et les bouchons de champagne !

Heureusement qu’il y a un homme, un vrai, dans cette maison ! se vante-t-il.

Sébastien défait le collier de serrage dégage le muselet, puis fait tourner la bouteille de sa main droite tout en bloquant fermement le bouchon de sa main gauche. Un joyeux plop se fait entendre.

— Je plaisantais, petit frère ! Bravo pour cette nomination. J’espère qu’elle ne sera pas seulement honorifique et qu’elle nous permettra de déguster un bon nombre de magnums de Veuve Clicquot ! Alors… combien vas-tu te faire en plus ? dit Stéphane d’un ton sincère.

— Je n’aurai pas à me plaindre, coef deux en progressif dans deux ans, plus quelques à-côtés... car dans peu temps, mon n+1 va partir à la retraite, ce qui m’ouvre d’autres perspectives, d’autant plus que c’est moi qui serai chargé de la négociation de la fusion de notre groupe avec le GBFEC, le Groupe des Banques Françaises d’Épargne et de Crédit.

— C’est bien tout ça ! Je ne vois pas pourquoi tu continues à te plaindre du fait que papa m’a revendu l’étude. Car je te rappelle que je la lui ai rachetée. Il ne me l’a pas donnée, quand même, tu le connais.

— Cela suffit, dit Sandrine d’un ton autoritaire. On se calme, les garçons ! Arrêtez d’aborder ce sujet qui fâche et qui n’en est pas un, qui n’en est plus un. Votre père est d’un autre temps, où la primauté de l’aîné prévalait, c’est ainsi, c’est fait, il faut l’accepter. C’est lui le responsable de cette situation, et il est inutile, à l’âge qu’il a, de lui en tenir rigueur.

— Facile à dire, quand on est la femme de l’aîné, rétorque Sébastien, de nouveau prêt à en découdre.

— Il y a prescription maintenant. Je vous rappelle que nous nous voyons ce soir pour organiser son anniversaire. On la fait, cette photo ? Et si nous trinquions à la réussite de Sébastien ? propose Sandrine.

— Sébastien, Stéphane, mettez-vous debout et trinquez. Je vous prends en photo, dit Valérie.

Les deux frères s’exécutent, sans débordement de joie.

— Allez les frangins, souriez un peu, conseille Sandrine, on n’est pas à un enterrement !

Valérie prend le cliché, tous vont se rasseoir quand Sandrine stoppe leur mouvement.

— Attendez un instant ! J’en prends une aussi et également une photo de la superbe table que nous a préparée Valérie. C’est magnifique, ma chérie, ces petites décorations.

L’intermède photo a permis de calmer les esprits.

— Et ton bateau, comment fais-tu pour l’hiver ? Tu ne voulais pas en acheter un autre ? demande Stéphane, en changeant résolument de conversation pour apaiser l’humeur de son frère et alléger l’ambiance délétère qui commençait à s’installer.

— Il reste à quai cet hiver. J’en prendrais bien un plus gros avec un moteur plus puissant. J’aimerais tester la pêche au gros. J’ai le temps pour me décider.

La discussion s’installe sur les différents modèles qui s’offrent sur le marché du neuf et de l’occasion, sur sa dernière partie de pêche qui a été loin d’être abondante. Sébastien emplit de nouveau les coupes, puis ils conversent sur le thon rouge qui ne semble plus être en voie d’extinction grâce à de drastiques quotas, information encore sujette à controverses. Le repas préparé par Valérie est apprécié à sa juste valeur, il se déroule dans une ambiance plus calme et plus sereine qu’il avait commencé. Le menu est validé pour le 9 novembre, à la satisfaction de la cuisinière.

La fin du repas est agrémentée d’une infusion digestive, menthe poivrée sauge anis vert pour les femmes et d’une eau-de-vie de muscat, moins diététique, pour les hommes. Quelques lieux communs sont échangés sur l’actualité, puis vient l’heure de se séparer :

— C’était très bien, nous reviendrons ! dit Stéphane en plaisantant.

— Alors d’accord ! Le 9 novembre ! Je vous ouvre le portail, dit Valérie munie de son bip, en refermant la porte d’entrée. Je ne vous accompagne pas.

...

Roman Policier

244 pages, format 12,5 x 19,5 cm, 16,00 €

Couverture :

Impression quadrichomie sur fond noir, pelliculage brillant.

Feuillets :

Impression noir et blanc recto verso, Papier bouffant blanc 80g, Reliure dos carré avec mors latéraux collés, double rainage d'aisance.

Imprimé en FRANCE

ISBN 978-2-9569511-1-7

Dépôt légal mai 2023

éd Marco-Libro

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